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Films russes sortis en 2005 à Moscou

Titre & réalisateur Critique
"Poutevoditel" (Путеводитель- le guide) d'Oleksandr Shapiro (Олександр Шапиро)

Sorti en octobre

Kiev, pas pour les touristes

Autant le dire tout de suite, c'est pas le guide du routard. Shapiro n'est pas un Klapish ukrainien. Pas de clichés éculés, de gags téléphonés, de récits éculés. Dans notre "Guide", les récits s'enchevêtrent, comme s'enchevêtrent présent et passé, riches et pauvres, imbéciles et branchés, gosses de riches et SDF, marlous et artistes. On passe du coq à l'âne, on découvre l'existence intime de personnages pas forcément représentatifs de la population kievienne, mais qui l'éclairent en profondeur, jusqu'aux détails les moins attendus. Parfois, d'horribles bulles de souvenirs remontent à la surface (massacre des juifs à Babi-Yar par les nazis et leurs supplétifs ukrainiens) dans un contexte de cécité historique patente. Images d'archive à l'appuis. Sans prévenir, comme une douleureuse remontée d'acide dans l'oesophage encombré de Kiev.

Alors c'est vrai, on met un certain temps à rentrer dans le film, à cause de son rythme de type documentaire nostalgique. La voix off lancinante du "guide" agace un peu au début, mais avoir planté le décors, elle disparaît. XXX

 

"Kolia - Perekati Pole" (Коля — перекати поле) de Nikolaï Dostal (Николай Досталь)

Sortie le 10 octobre

 

14 ans plus tard, c'est la même histoire

Suite du film "Oblako - Raï" (nuage - paradis) réalisé en 1991, qui fût un film emblématique de son époque... Surprise, RIEN n'a changé en 14 ans ! Kolia revient dans son patelin pourri où tout le monde s'ennuie, s'enivre de samogon et de fatalisme. Kolia a fait le tour du monde mais ne semble pas enthousiasmé parce qu'il a vu. Il revient au pays sans prévenir, alors que plus personne ne l'attendait...

Dostal peint avec un réalisme intense le portrait d'une poignée de personnages 100% russes, en reprenant exactement les mêmes acteurs d'"Oblako Raï". C'est fascinant de les reconnaître tout de suite et de mesurer combien ils ont changé... C'est un puissant miroir qui nous renvoie immédiatement à nous-mêmes, quelque soit notre propre histoire, puisse-t-elle différer totalement de la leur.

Rien ne change dans la province russe... et surtout pas la truculence de ces personnages qu'on connaît tous, qu'on a tous cotoyés si l'on a fréquenté une famille russe de province et si l'on parle leur langue. Dostal nous fait beaucoup rire, et pleurer aussi, parce que le tragique n'est jamais loin derrière la farce.

"9 rota" (la 9ème compagnie) de Fedor Bondartchouk

sortie le 29 septembre

16 ans de (non) réflexion sur la guerre d'Afghanistan

"Nous avons gagné". Le film s'achève sur ces paroles équivoques alors que de la 9ème compagnie en question, subissant l'assaut féroce de moujahidines, il ne reste qu'un soldat sauvé par son amulette et une nuée d'hélicoptères russes. Le survivant a tout perdu : ses camarades, ses illusions, sa jeunesse et enfin la guerre d'Afghanistan alors que les troupes soviétiques se retirent du pays.

Le survivant a certes rempli sa mission. Pour le réalisateur Fedor Bondartchouk, c'est moins sûr. Les 16 ans passés depuis la fin du "Vietnam soviétique" n'ont pas suffit pour que le cinéma russe prenne enfin le taureau par les cornes et bouscule la conscience nationale sur cette catastrophe absolue. Enfermé dans un politiquement correct sauce Poutine, 9 rota se limite à brosser le portrait de quelques soldats "volontaires" dont la poltronnerie naturelle se transforme en héroïsme dès qu'il s'agit de défendre la mère patrie. L'angle adopté par Bondartchouk a l'avantage de ne déranger personne et de se donner bonne conscience. Pas un mot sur la responsabilité du pouvoir soviétique dans cette boucherie absurde et d'essence impérialiste. Pas un mot sur les centaines de milliers de civils afghans massacrés ou estropiés. Pas un mot enfin sur le soutien "des forces impérialistes" américaines aux moujahidines - et heureusement d'ailleurs que le film ne donne pas dans l'antiaméricanisme ambiant...

Les américains, eux, n'ont pas attendu 16 ans pour tourner "Apocalypse now", "voyage au bout de l'enfer" et autres chefs d'oeuvres dévastateurs sur la guerre du Vietnam. Visiblement les russes sont soit trop poltrons pour regarder en face leur passé soit dénués de conscience. Ils persistent à observer la guerre d'Afghanistan à travers le prisme univoque de Rambo.

Heureusement, du côté purement cinématographique, 9 rota s'en sort mieux. Bondartchouk n'est pas le fils du réalisateur de "guerre et paix" pour rien. D'abord, on lui a donné d'importants moyens pour son film. Ensuite, il manifeste un talent certain pour filmer les scènes de combat - certes sans la moindre innovation. Les moujahidines sont filmés un peu sur le mode du classique "Assault" de John Carpenter : une armée de zombies dépersonnalisés au nombre apparemment infini contraste avec des soldats soviétiques dont chaque personnage est soigneusement différencié et rendu attachant. Les acteurs en font des tonnes avec un pathos typiquement russe, mais l'émotion passe quand même. Par contre, la bande sonore envahissante - trait typiquement hollywoodien - efface complètement les faibles tentatives de recréer l'atmosphère soviétique/perestroika de 1989. C'est dommage mais pas surprenant. Bondartchouk, à l'image d'une grande partie de l'intelligentsia russe, a décidé de faire semblant d'avoir une mauvaise mémoire.

 

Premiers sur la lune (Первые на Лунe) (2005) de Alekseï Fedortchenko (Алексей Федорченко)

 

News of the World

Scoop! les soviétiques ont envoyés un jules sur la lune en 1938 ! On vient juste de l'apprendre ! Pourquoi nous l'ont-ils caché ? Parce que le gars, il est revenu sans passer par la case départ et comme le projet ne s'est pas déroulé selon le PLAN, on a mis tous les autres participants au four. A l'époque, ça rigolait pas avec le camarade Staline. Bref, Fedortchenko nous tourne en bourrique avec des "images d'archives" fantaisistes, et pleins d'idées pas ordinaires sur l'espace et sur l'histoire soviétique. Un vrai OVNI cinématographique à voir absolument.

 

Pauvres parents (Бедные родственники), de Pavel LOUNGUINE (Павел ЛУНГИН)

 

Elle a bon dos la charité

Un filou exploite le désir de juifs émigrés de longue date de renouer avec leurs parents restés en Ukraine et perdus de vue. Imbroglio de sentiments, de situations invraisemblables cultures et de langues non partagées au programme. Lounguine nous régale d'humour juif, de burlesque et d'émotions avec comme d'habitude une direction impeccable et des acteurs qui donnent tout.

 

Popsa (Попса), de Elena NIKOLAEVA (Елена НИКОЛАЕВА)

Les dessous tièdes du show biz russe

Une gamine ambitieuse, têtue et vaguement douée débarque à Moscou pour tenter sa chanse dans la chanson. Elle tombe dans les pattes de la mère maquerelle du milieu "popsa" (la forme la plus commerciale des variétés), qui finit par lui donner sa chance. Satire convenue du show biz russe (dont on reconnait sans peine les cibles - en plus Lolita apparaît dans son propre rôle !), le film survole un peu son sujet mais évite de tomber dans la mièvrerie. Au final, il ne passionnera ni les fans de popsa ni ceux qui s'en tapent.

 

Le cosmos comme pressentiment Космос как предчувствие), de Alekseï OUTCHITEL (Алексей УЧИТЕЛЬ)

 

La Fuite (Pobeg / Побег), de Egor Kontchalovski (Егор Кончаловский)

 

Une évasion de trop

Adaptation du film américain du même nom avec Harrison Ford. Sans grand intérêt si on a déjà vu l'original. Curieuse idée pour un jeune réalisateur que de se mesurer avec la grosse machine hollywoodienne sur un film de genre qui fait plus appel à l'expérience et à la maîtrise qu'à la créativité. Quant à Evgueni Mironov, qui joue le rôle principal, il aurait mieux fait d'accepter le rôle que lui destinait Pavel Lounguine dans Parents Pauvres plutôt que celui-ci qui n'ajoute rien à sa carrière. Il y a quelques invraisemblances de plus que dans la version US mais c'est tout de même bien ficelé donc si vous êtes fan de thriller jetez y un oeil.

Jmourki

d'Alexeï Balabanov

Жмурки), de Alekseï Balabanov (Алексей БАЛАБАНОВ)

Sorti en mai

Les Bandits stupides au pouvoir !

Avec son film Jmourki (Arnaqueurs), Alexeï Balabanov passe au registre burlesque en offrant un superbe cadeau aux nostalgiques des années 90. Un duo de bandits passablement stupides en zigouillent d'autres, plus imbéciles encore dans les murs sales de Nijny Novgorod. Cynique et passablement morbide, Jmourki est en réalité infiniment plus sain et marrant que les précédents films de Balabanov (" Voïna " ou la série des " Brat " avec feu Sergueï Bodrov Jr). Plus d'orgueil mal placé ni de redresseur de tords sanguinaire. Cette fois on est dans une version russe burlesque du " Parrain " de Coppola, avec l'influence salutaire de Tarantino. Autant dire les ingrédients d'un film culte auquel ont participé quelques pointures (Litvinova, Panine, Mikhalkov). Une cure de jouvence pour ce dernier, dont on aurait pu craindre après " Statski Sovetnik " que son ego ait gonflé au-delà des limites de l'acceptable. Il est si authentique en parrain mafieux, que seules les victimes de son Association des Cinéastes Russes rirons jaunes… L'épilogue de Jmourki nous montre nos deux Jmourki en 2005, richissimes dans leur bureau donnant sur le Kremlin, faisant mentir un vieil adage plus stupide qu'eux : "le crime ne paie pas"...
 

Poussière (Пыль), de Sergueï LOBAN (Сергей ЛОБАН)

Echappé du pilon

Un film expérimental avec Piotr Mamonov dans le rôle principal, je dis "oui, oui, oui !!!". Et bien non, en fait, c'est une grosse daube. Quelle déception ! Un gros garçon complexé sert de cobaye à une expérimentation du FSB lors de laquelle il se sent métamorphosé en colosse pendant quelques secondes. Intoxiqué par ce souvenir, l'humilié et l'offensé ne peut plus vivre comme avant et tente de percer le secret, finit par tomber sur le docteur Mamonov et... on est sorti de la salle parce que malgré une bonne idée de départ, c'est filmé avec les pieds,  les "acteurs" ont oublier de jouer et parce que l'histoire est profondément inintéressante et ennuyeuse. Le film n'aurait jamais du sortir des cartons de l'école et Mamonov y a visiblement participé par pure charité. On est désolé pour lui. Très surprenant, l'énorme battage médiatique fait autour du film dans les milieux arty risque de discréditer tout le cinéma expérimental. STOP !

 

Conseiller d'Etat

Статский советник, de Filipp Yankovski (Флипп ЯНКОВСКИЙ)

sorti en avril

Mikhalkov, surveille tes chevilles !

Plein d'admiration pour le Mikhalkov-réalisateur de 1980 à 1995, je me permets de vous mettre en garde contre celui, plenipotentiaire, paternaliste, clientéliste, népotique, en un mot : TOXIQUE, des années suivantes. A lui seul il a saccagé un film qui devait être la gentille adaptation du roman éponyme de Boris Akounine. Mikhalkov-producteur écrase totalement le jeune Yankovski, lui dicte tout et squatte sans cesse les deux côtés de la caméra au point d'en devenir proprement insupportable. Le grand Oleg Menchikov n'est que l'ombre de lui-même, le  scénario s'enfonce dans les invraissemblances et les moyens impressionnants mis en oeuvre pour cette reconstitution pseudo historique sont gâchés...

 

L'accordeur

de Kira Mouratova

sorti en avril

Mer noire, humour noir

Dans son dernier film intitulé " Nastroïtchik " (l'accordeur), Kira Mouratova confronte la nouvelle et l'ancienne Russie (plus exactement ce qu'il en reste… en Crimée) à travers des dames aux manières aristocratiques (et soviétiques à la fois…) et des olibrius amoraux symbolisant la nouvelle génération formée à l'école du capitalisme sauvage.

Un accordeur de piano (George Deliyev), pour entretenir son amante excentrique (Renata Litvinova… comme il se doit), monte un astucieux stratagème pour escroquer deux sympathiques retraitées. Loin d'être naïves, les deux vieilles dames cultivées et déçues par la gent masculine succombent toutefois progressivement à la candeur feinte de l'accordeur, lui-même sous la coupe de sa " sterva " d'amante.

Les amateurs de Mouratova vont se régaler avec un film offrant la quintessence de son talent. La réalisatrice moldavo-ukraino-russe réunit ses acteurs préférés dans un mélodrame policier en noir et blanc plein d'humour acide et de dialogues écrits avec une virtuosité toujours intacte.
 

Soleil d'Alexandre Sokourov

Солнце

sorti en février

Empereur au tapis

 

Sokourov, patriarche du cinéma d'auteur russe, poursuit avec Solntse sa tetralogie sur le pouvoir et l'idéalisme. Les 2 volets précédents nous avaient présentés Lénine (Telets) et Hitler (Molokh) sous une lumière pour le moins inhabituelle. Ce coup-ci, c'est Hiro Hito, l'empereur japonais qui a laissé son pays entamer et finir lamentablement une atroce 2nde guerre mondiale. Le film évoque la défaite entre 1945 et 46, lorsque l'empereur annonce à ses sujets qu'il renonce à son statut divin. Hiro Hito apparaît complètement dépassé par les événements, sombrant dans une demi folie, en tout cas dans la plus complète irresponsabilité. La divinité le secoue de spasmes, son corps n'y tient plus et son esprit finit par l'admettre. Mais des atrocités commises par son armée (et qui retombent finalement sur son peuple) Hiro Hito n'en a semble-t-il pas conscience, ravagé qu'il est par les responsabilités que son entourage lui confie avec servilité.

 

Sokourov prend des libertés invraisemblables avec l'Histoire (bien pire que Tolstoï dans Guerre & Paix) et ça me fait penser au bouquin que je lis en ce moment : "Anton" de Tchoudakov. L'auteur y explique que les russes ne connaissent l'Histoire russe que par ce qu'ils ont lu dans la littérature ou ont vu au cinéma. Et bien, dans une période où les relations Russie-Japon vont nécessairement connaître des modifications importantes (rapport au différent sur les îles Kouriles qui bloque toujours la signature du traité de paix entre les 2 pays - la 2nde guerre mondiale n'est toujours pas achevée !), ce n'est pas Sokourov qui va aider le public russe à comprendre son exotique voisin oriental.

 

Certes, tel n'était probablement pas le but de notre excentrique réalisateur. Mais plus encore que la réaction russe à ce film sur l'histoire, la réaction japonaise promet d'être passionnante.

 

Esthétiquement, on est bien sûr dans la lignée de "Molokh". Bunker, corridors sombres, ambiance lugubre et folie douce du pouvoir. Gros plans très soignés sur les traits de l'empereur et des mimiques de ses serviteurs. Protocole esthétisé, rituels japonais magnifiés. Courts flashs sur les horribles décombres tout autour du bunker. Méchante parenthèse sur la vulgarité et le manque de manières des troupes américaines triomphantes et sur l'impolitesse scandaleuse du Général McArthur.


Le plus étonnant réside dans l'usage que fait Sokourov de la musique.  Fascinante et irréelle, on ne comprend pas du tout d'où elle vient... au point qu'on ai l'impression persistante qu'elle ne vient pas de la salle de cinéma mais de l'extérieur...

Vodka Lemon

sorti en février

Arménie dégrisée

« Vodka Lemon », le dernier film du réalisateur kurdo/arménien Hiner Saleem, nous rappelle la situation tragique de l’Arménie, petit pays coincé entre des voisins hostiles. Un petit village enfouit sous la neige constitue le cadre d’une romance aigre-douce entre un veuf (Hamo) et une veuve (Nina) revenus de tout. Hamo, vétéran de l’armée rouge, survit péniblement avec sa maigre pension de $7 par mois. Ses trois fils ne sont pas du genre prodigues. Alors, il vend peu à peu les rares biens qu’il possède encore… d’autant plus que, sensible à la détresse de Nina, il ne peut se retenir de lui venir en aide. 

Pas larmoyant pour un sou, Vodka Lemon séduit par sa poésie et sa franchise toute caucasienne. Kurde ayant grandi en Arménie, Hiner Saleem dépeint non sans humour les relations humaines et montre que l’humanité n'est pas soluble dans la misère. Fort inspiré, il nous offre au passage une bande son magnifique. Et, débrouillard, il a su trouver des financements en France, en Suisse et en Italie… sans les fonds de qui vous n’auriez aucune chance de voir un pareil film…

Le vendeur de nuit

de Valeri Rojnov

Ночной продавец

sorti en janvier

Etudes nocturnes et humour noir 

1er film russe de l’année 2005, Notchnoï Prodavets (le vendeur de nuit) est également un 1er film tout court. Signe du rajeunissement vital du cinéma russe. Valeri Rojnov filme une superette livrée à des maniaques. Le gars de la sécurité est malade, le patron au casino et notre pauvre étudiant – le vendeur de nuit – ne parvient pas à tourner une page de son livre de maths. Les peurs s’additionnent et se nourrissent les unes des autres à mesure que défile une galerie de personnages inquiétants.

Pas toujours très solide côté scénario, le film d’apprécie comme une suite de numéro d’acteurs. Le tout jeune Pavel Barchak (qu’on a déjà vu dans Progoulka l’année dernière) s’en sort bien mais peine parfois à relever le défi d’un rôle moyennement écrit. Pour les autres, c’est un vrai festival. Ingeborga Dapkunaïte est une nymphomane irrésistible et pousse-au-crime ; Viktor Soukhoroukov se lâche dans le rôle du maniaque zigouillé, et surtout, Andreï Krasko remet son imper de flic plus gouailleur et dérangé que jamais. A transposer d’urgence au théâtre !