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Le 24ème Festival international du film de Moscou ouvre ses portes demain. Kirill Razlogov, directeur des programmes, revient sur l’identité du festival.

 

- Le festival fêtera sa 24ème édition cette année. Quand a-t-il été créé ?

 

- Il y eut d’abord le festival soviétique de Moscou, en 1935, qui se transforme en Festival international du film en 1959. Survint alors un problème politique puisqu’une telle manifestation existait déjà à Karlovy Vary, en République Tchèque. La solution consista à réserver les années paires aux Tchèques et les impaires aux Russes. Après 1991, le festival de Karlovy Vary est redevenu annuel. À Moscou, il fallut attendre 1999. Au terme de ce parcours un peu chaotique, nous arrivons à la vingt-quatrième édition.

 

- Quelle idée présida à la création d’un tel événement ?

 

- Le festival se voulait une fenêtre ouverte sur le monde. On y a toujours plus vu des auteurs de gauche, voire tiers-mondistes à l’époque de ce courant de pensée. Plus qu’une volonté politique, c’était avant tout un moyen de déjouer la censure, très oppressante. Et le succès était au rendez-vous : le festival enregistrait des taux de fréquentation qui font rêver aujourd’hui … Les salles étaient pleines …

Jusqu’à ce que la Russie s’ouvre sur le monde : l’identité même du festival risquait de perdre de sa cohérence. Il a fallu changer de regard, nous avons adopté le parti pris de la curiosité.

 

 

- Venons-en au programme. Comment faites-vous votre choix ?

 

- La programmation dépend fortement de la venue du réalisateur ou des acteurs pour représenter le film sélectionné. Il faut jongler avec le coût d’une telle représentation mais aussi avec les désistements – et les caprices – des uns et des autres.

 

Aucun des films présentés à Moscou ne doit figurer dans les sélections cannoise ou berlinoise. Ils peuvent avoir été présentés dans leurs pays d’origine mais pas distribués à l’étranger. 

Les moments les plus attendus du festival restent l’ouverture et la fermeture. Cette année, aucun film français ne figure dans la sélection. En revanche, c’est une oeuvre tricolore qui ouvre le festival au soir du 21 juin. Nous avons choisi “Huit femmes”, de François Ozon, même si aucune des huit n’a accepté notre invitation. Ceci dit, cela respecte une certaine tradition du festival qui veut généralement qu’un français fasse l’ouverture et un américain, la fermeture.

 

 

- Existe-t-il un marché du film en marge du festival ?

 

- Depuis quelques années, l’identité politique du festival s’estompe au profit d’un caractère plus commercial. Mais de là à dire qu’il existe un marché du film à Moscou, c’est exagéré. Je suggère plutôt de développer un marché de financement de projets qui s’adapterait plus à la situation de la création cinématographique en Russie.

 

- Que pouvez-vous lire de l’évolution de votre pays à travers l’histoire du festival ?

 

- Aujourd’hui, le succès populaire de l’époque soviétique cède le pas à une autre tendance, reflet d’une mentalité que j’associe aux nouveaux russes. Et qui me fait penser à un film d’Antonioni où de grands bourgeois se créent des soucis pour rompre l’ennui. Le festival de Moscou est un peu devenu un festival de gens riches qui s’adressent à des gens riches. Résultat, le public plus populaire associe le festival à la nouvelle élite et boude les manifestations.

Le défi identitaire que nous avons à relever est celui de la cohabitation entre trois cultures ; la culture de la nouvelle élite économique, la culture cinéphilique mais aussi la culture étatique puisque le festival reçoit la moitié de son budget en financement public. Et pour repopulariser le festival, je ne vois aujourd’hui qu’une solution : faire du “hollywood”…

 

Clap de fin le 30 juin, après la remise des statuettes de Saint-Georges au meilleur film, au prix spécial du jury, au meilleur réalisateur, à la meilleur actrice et au meilleur acteur.

 

Entretien réalisé par Emmanuelle Morau