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             Le FSB pompe sur Hollywood et fait sa propagande

  • Le FSB (ex-KGB) tente de redresser son prestige au moyen d’un film patriotique réécrivant l’histoire
  • Doté d’un financement record, le film remporte un grand succès auprès du public russe alors que le pays commémore les 10 ans du conflit tchétchène

  

 « Il faut montrer à la population qu’il n’y a pas que le gouverneur de Californie qui puisse sauver la Russie » martèle Evgueni Lavrentiev, pour promouvoir son film « Litchny Nomer » (Numéro d’identification).

 Le président russe Vladimir Poutine et le directeur du FSB Nikolaï Patrouchev, ont été les premiers spectateurs - ébaudits, parait-il - de ce film qui semble sorti tout droit de leur imagination.

Superproduction patriotique de 7 millions de dollars financée en partie directement par le Kremlin, le film narre le combat de l’agent Smoline, colonel du FSB, pour sauver le monde d’une vaste attaque terroriste organisée conjointement par un oligarque ennemi du Kremlin, des indépendantistes tchétchènes et une organisation terroriste arabe évoquant immanquablement Al-Qaeda.

 

La particularité du film est d’être bâti autour d’événements réels péniblement frais dans les mémoires. Les prises d’otage de Beslan et du théâtre moscovite "Nord Ost" y sont combinées dans l’attaque fictive d’un cirque moscovite rempli d’enfant par un commando composé d’arabes et de tchétchènes. Les agissements du machiavélique oligarque exilé suggèrent lourdement l'oligarque Boris Berezovski, ennemi juré de Poutine. A ce niveau c'est davantage du "kompromat" que de la fiction. Enfin, le film s’ouvre par le rappel des mystérieuses explosions d’immeubles qui ont fait plus de 300 morts en 1999.

 

Là s’arrêtent les correspondances avec la réalité. Pour bien des russes, le FSB est non seulement jugé incapable de lutter contre la montée en puissance du terrorisme, mais est en outre soupçonné d’avoir fomenté des attentats.

 

A l’inverse, Litchny Nomer en dresse un tableau des plus flatteurs en réécrivant l’histoire au passage.

 

Certes, le film débute mal pour le FSB puisque Smoline avoue devant la caméra être l’auteur des trois explosions d’immeubles datant de 1999. Il est vrai que des agents du FSB ont réellement été surpris à cette époque par des civils en train d’installer des explosifs dans un immeuble.

 

Mais ce n'est qu'une astuce - grossière - pour mieux faire croire à un complot anti FSB. Litchny Nomer redresse vite la situation en dévoilant que les aveux ont été extirpés à Smoline par des terroristes tchétchènes sous la torture. Sur l’écran, point de gaz mortels ni d’assauts calamiteux des forces spéciales comme à Moscou et à Beslan. Le FSB sauve tous les enfants et liquide tous les terroristes.

 

Bref, le scénario de « Litchny Nomer » narre l’actualité russe exactement comme le Kremlin voudrait qu’on s’en souvienne. Ce n’est pas un hasard si le film ressemble à la couverture des événements par la télévision officielle. Clin d’œil en sus, la présentatrice vedette du « 20h » de la chaîne d'Etat "Rossia" prête son concours au film en apparaissant dans son propre rôle.

 

Après avoir bâillonné les médias d’opposition, le Kremlin étend désormais son contrôle au cinéma. Il ne fait en cela que renouer avec la tradition soviétique des films de propagande.

 

« Ce n’est pas un film de commande » proteste le réalisateur, « mais un film de genre sur la Russie contemporaine réelle. Notre gouvernement a une politique bien définie et ce film se situe précisément dans le cadre de cette politique. Il n’y a rien d’étonnant là-dedans parce que je suis quelqu’un qui a voté pour le président Poutine » ne se fait pas prier de rappeler Lavrentiev.

 

Pour le Kremlin, l’objectif est atteint car les foules se pressent dans les salles. Après deux semaines d’exploitation, le film occupe toujours à l’affiche d’une bonne moitié des cinémas moscovites. Litchny Nomer rafle le chiffre record de 3,7 millions de dollars après seulement 11 jours d’exploitation.

 

 

Litchny Nomer

d'Evgueni Lavrentiev

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