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Qui sont les Porcs ?

Death In June pour la première fois en Russie

Club Tochka

28.11.2002

Qu'il est fascinant d'aller écouter un concert de Death In June à Moscou ! Dans l'unique pays au monde où les grands-parents rêvent de Staline et les petits enfants d'Adolphe Hitler ! Pas tous, certes, mais une section non négligeable. Le sulfureux groupe anglais Death In June se plait depuis 20 ans à provoquer par son usage de symboles païens, nazis et sado-masochistes. Le leader Douglas Pearce refuse systématiquement de s'expliquer sur l'ambiguïté profonde de son oeuvre, et ne s'étonne plus de voir son public se composer en partie de jeunes fascistes.

 

Douglas Pearce et James Murphy ont donné un excellent concert, plein d'énergie et de charisme. Sous les masques arborés par les deux hommes, sous leurs combinaisons de camouflage, sous la voix sucrée de Pearce perce une hargne longuement mûrie contre les "porcs" (mais qui sont-ils ? Chacun y voit les siens). Ben Laden, Klaus Barbie, les Tchétchènes sont convoqués dans les paroles... mais Pearce ne déborde jamais dans un sens ni dans l'autre, et nul ne peut déterminer avec exactitude sur qui est jeté l'opprobre.

 

Le "Dark Folk" de Death In June possède d'indéniables qualités musicales et poétiques. L'attirance fonctionne d'autant mieux que la beauté est associée au mal, le mal à l'ambiguïté... Death In June donne l'opportunité au public de laisser s'exprimer de manière cathartique des complexes indémêlables.

 

Le premier concert de Death In June à Moscou s'est déroulé le 28.11.2002, soit sept années après l'apogée de l'enthousiasme soulevé par ce groupe. Résultat : pas de gens en vue au concert, uniquement de jeunes fans typiques. Peu nombreux, environ 200, se sont déplacés pour écouter ce groupe culte par excellence. Un bon nombre connaissent visiblement les paroles par cœur, et une dizaine fait le salut hitlérien. Dans un pays où Hitler a tué 20 millions de personnes (les Russes ont payé le plus lourd tribut de toutes les nations européennes lors de la seconde guerre mondiale), ce n'est pas le moindre des paradoxes. Le traumatisme subit par ce pays ajouté à l'incapacité notoire à régler ses comptes avec son passé soviétique totalitaire, a laissé la jeunesse dans un brouillard complet où syncrétismes religieux et idéologiques forment un terreau des plus sordides. En Russie, les idées de la Nouvelle Droite ont eu un écho fantastiquement important, la vision essentialiste, anti-humaniste, nationaliste et conservatrice a fait des émules dans une large partie de la classe politique. Le philosophe et politologue Alexandre Douguine, figure majeure de ce courant de pensée, est un amateur déclaré de Death In June. Du moins l'était. Aujourd'hui, il est conseiller officiel du Président de la Douma d'Etat, il dirige son propre parti Eurasia et, selon des rumeurs persistantes, serait un conseiller officieux du président Poutine.

 

Mais Death In June n'est plus en odeur de sainteté en Russie depuis sa prise de position pro-croate (rompant à l'occasion avec son principe d'ambiguïté) lors de la guerre civile Yougoslave. Les nationalistes Russes soutenaient fermement les Serbes, orthodoxie oblige. Peut-être est-ce la raison pour laquelle Death In June n'a pas été accueilli en fanfare par ses anciens admirateurs.

 

Et il faut bien dire que l'ambiguïté excite la curiosité... mais cela n'a qu'un temps, et finit par lasser. La beauté des morceaux de Death In June reste, sa poésie morbide demeure aussi, mais la mascarade cesse lorsqu'on s'aperçoit qu'elle se répète indéfiniment et que ceux qui s'en repaissent sont finalement ceux qui n'ont pas le courage d'exprimer franchement leurs idées.