|
Qu'il est fascinant
d'aller écouter un concert de Death
In June à Moscou ! Dans l'unique pays au monde où les grands-parents
rêvent de Staline et les petits enfants d'Adolphe Hitler ! Pas tous,
certes, mais une section non négligeable. Le sulfureux groupe anglais
Death In June se plait depuis 20 ans à provoquer par son usage de
symboles païens, nazis et sado-masochistes. Le leader Douglas Pearce
refuse systématiquement de s'expliquer sur l'ambiguïté profonde de son
oeuvre, et ne s'étonne plus de voir son public se composer en partie de
jeunes fascistes.
Douglas Pearce et
James Murphy ont donné un excellent concert, plein d'énergie et de
charisme. Sous les masques arborés par les deux hommes, sous leurs
combinaisons de camouflage, sous la voix sucrée de Pearce perce une
hargne longuement mûrie contre les "porcs" (mais qui sont-ils ?
Chacun y voit les siens). Ben Laden, Klaus Barbie, les Tchétchènes sont
convoqués dans les paroles... mais Pearce ne déborde jamais dans un sens
ni dans l'autre, et nul ne peut déterminer avec exactitude sur qui est
jeté l'opprobre.
Le "Dark
Folk" de Death In June possède d'indéniables qualités musicales et
poétiques. L'attirance fonctionne d'autant mieux que la beauté est
associée au mal, le mal à l'ambiguïté... Death In June donne
l'opportunité au public de laisser s'exprimer de manière cathartique des
complexes indémêlables.
Le premier concert de
Death In June à Moscou s'est déroulé le 28.11.2002, soit sept années
après l'apogée de l'enthousiasme soulevé par ce groupe. Résultat : pas
de gens en vue au concert, uniquement de jeunes fans typiques. Peu
nombreux, environ 200, se sont déplacés pour écouter ce groupe culte
par excellence. Un bon nombre connaissent visiblement les paroles par cœur,
et une dizaine fait le salut hitlérien. Dans un pays où Hitler a tué 20
millions de personnes (les Russes ont payé le plus lourd tribut de toutes
les nations européennes lors de la seconde guerre mondiale), ce n'est pas
le moindre des paradoxes. Le traumatisme subit par ce pays ajouté à
l'incapacité notoire à régler ses comptes avec son passé soviétique
totalitaire, a laissé la jeunesse dans un brouillard complet où
syncrétismes religieux et idéologiques forment un terreau des plus
sordides. En Russie, les idées de la Nouvelle Droite ont eu un écho
fantastiquement important, la vision essentialiste, anti-humaniste,
nationaliste et conservatrice a fait des émules dans une large partie de
la classe politique. Le philosophe et politologue Alexandre Douguine,
figure majeure de ce courant de pensée, est un amateur déclaré de Death
In June. Du moins l'était. Aujourd'hui, il est conseiller officiel du
Président de la Douma d'Etat, il dirige son propre parti Eurasia et,
selon des rumeurs persistantes, serait un conseiller officieux du
président Poutine.
Mais Death In June
n'est plus en odeur de sainteté en Russie depuis sa prise de position
pro-croate (rompant à l'occasion avec son principe d'ambiguïté) lors de
la guerre civile Yougoslave. Les nationalistes Russes soutenaient
fermement les Serbes, orthodoxie oblige. Peut-être est-ce la raison pour
laquelle Death In June n'a pas été accueilli en fanfare par ses anciens
admirateurs.
Et il faut bien dire
que l'ambiguïté excite la curiosité... mais cela n'a qu'un temps, et
finit par lasser. La beauté des morceaux de Death In June reste, sa
poésie morbide demeure aussi, mais la mascarade cesse lorsqu'on
s'aperçoit qu'elle se répète indéfiniment et que ceux qui s'en
repaissent sont finalement ceux qui n'ont pas le courage d'exprimer
franchement leurs idées.
|
|
|