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La nouvelle production de Faust dont la mise en
scène et les décors ont été confiés à un binôme français, a
constitué l’événement majeur du début de saison lyrique à Moscou.
Le metteur en scène Philippe Godefroid et la décoratrice
Françoise Terrone forment une équipe depuis 1994. Godefroid est un
spécialiste de Wagner, auquel il a consacré plusieurs livres et surtout
mis en scène un grand nombre d’opéras en France et à l’étranger.
En 1981, il signe sa première mise en scène d'opéra, Lohengrin
puis en 1989 il écrit pour Maurice Béjart le scénario de son ballet Ring
um der Ring. Depuis 1990, Philippe Godefroid est directeur de l'Opéra
de Nantes. La présence d’artistes français dans l’univers lyrique local est
assez rare pour qu’on s’en réjouisse. Disons tout de suite que leur
prestation n’a pas remporté un franc succès chez le public russe,
mais, quoique discutable, il ne s’agit pas d’un échec. La mise en
scène iconoclaste du français Philippe Godefroid, demeure souvent
incompréhensible, rarement subtile mais propose parfois des trouvailles
intéressantes. Décidé à provoquer, Godefroid s’écarte promptement
du livret pour livrer, sans grand souci de cohérence, ses sarcasmes sur
les va-t-en-guerre de 1914, le christianisme et la bourgeoisie. Le
personnage de Méphistophélès n’en souffre pas trop, grâce à sa
capacité à incarner le mal sous toutes ses formes. Le fameux air de
« Vous qui faites l’endormie » atteint des sommets de
vulgarité tandis qu’il mime un accouplement avec la robe de Marguerite
sur des tombes de soldats. La colère de Valentin paraît bien ridicule en
regard de cet outrage. Cette scène a provoqué un conflit entre la
direction du Théâtre scandalisée et Philippe Godefroid, mais le metteur
en scène a eu le dernier mot. Cela dit, cette scène serait passée comme
une lettre à la poste à Paris, où nous sommes depuis longtemps habitué
aux extravagances des metteurs en scène. D’autant qu’elle correspond
tout à fait au profond cynisme du personnage. Son accent déplorable
laisse toutefois imaginer qu’il susurre les pires insanités… ce qui
nous amène à considérer la diction française des chanteurs, dont l’épithète
se résume à un seul mot : navrant. Il semble que la règle consiste
à articuler le moins de consonnes possible. Qui plus est,
Méphistophélès est bien le seul à articuler sporadiquement quelques
mots du livret. J’ai mis un bon quart d’heure à m’assurer qu’il s’agissait
de la version française et non de la version italienne du livret. Faust a
bien du mal à rentrer dans son personnage, parfaitement transparent et
insipide. Méphistophélès dévore la scène et semble faire tourner le
monde.
Belle prestation du chef d’orchestre Samuel
Friedman, né en Union Soviétique puis émigré dès 1973 en Israël où
il a dirigé l’orchestre symphonique national. Revenu en Russie au
début des années 90, il dirige ici un orchestre subtil doté d’une
belle sonorité. Avec un goût parfait, il évite l’emphase et les
clichés qui ternissent souvent cette partition.
Si la direction d’orchestre
de Friedman est précise et juste, il semble connaître de sérieuses
difficultés avec le chœur. Se mettant à battre frénétiquement
(parfois en décomposant à la croche) il envoie le chœur presque systématiquement
dans les choux, mais on est en droit d’espérer que ce problème sera
réglé pour le 21 mars.
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