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Après
de multiples péripéties (un figurant qui dégringole du décor au
Metropolitan, puis vidés à deux reprises ces dernières semaines de vols
internationaux pour avoir provoqué bagarres et autres prouesses
alcooliques), la troupe du Marinsky prend le Bolchoï d’assaut à l’occasion
d’un fort à propos festival du masque d’or. Monter avec la même
équipe deux opéras aussi volumineux (respectivement 4 h 30 et 5 h) en
deux jours d’affilée et dans un théâtre de tournée, voilà un genre
d’exploit dont les occidentaux sont privés. Non sans raison. Mais ce
qui est singulièrement déraisonnable semble réussir à l’inénarrable
Gergiev. Chose extraordinaire, la précipitation avec laquelle ces
événements n’ont pas manqué d’être organisés, cette
précipitation n’apparaît pas sur la scène. Ce sont globalement de
bonnes productions dont ont pu profiter les téméraires amateurs d’opéra
du Bolchoï. Certes, les deux œuvres méritaient d’attirer l’attention
vue la rareté de leur présence à l’affiche.
Kitège
est un somptueux opéra du dernier Rimsky–Korsakov, qui avait une
science fantastique de l’orchestration. Le talent de Gergiev s’illustre
dans sa conduite des nuances et des équilibres entre groupes
instrumentaux. Kitège souffre de quelques longueurs notamment vers la
fin, mais c’est l’opéra le plus élaboré de Rimsky–Korsakov. Les
chœurs du Marinsky suivent leur chef avec une discipline impeccable,
jusque dans les nuances les plus douces, ce qui n’est pas si courant
chez les chœurs d’opéra. L’a capella de la fin du troisième acte
peut laisser envieux le chœur du Bolchoï. L’enthousiasme ne suit pas
en revanche en ce qui concerne la mise en scène, inégale et manquant d’unité.
Une curieuse hésitation a saisi le décorateur, entre minimalisme,
mysticisme et réalisme. La première scène dans la forêt fait penser à
un salon Ikéa où déambulent des clients ensommeillés. Les habitants de
Kitège–la–petite sont habillés dans le goût des marchés des
environs de Moscou. Quant aux tatars, ils ressemblent à des amateurs de
Marylin Manson et se trémoussent de la même manière, ce qui est somme
toute fort distrayant. Malheureusement ils ont la mauvaise idée d’attaquer
juchés sur de vilaines grues de chantier, dont les silhouettes incongrues
sont plus ridicules qu’impressionnantes. Ce ne sont pas ces détails qui
gâchent notre plaisir. La qualité des chanteurs et l’homogénéité de
la distribution laissent admiratifs.
Emmanuel
Grynszpan
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