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Unique production entièrement
conçue à domicile cette année, la Khovanchtchina rassure quant aux
capacités du Bolchoï à se relever après une décennie de
fléchissement continu. Visiblement, les efforts appuyés du Bolchoï ont
porté leurs fruits tant musicalement que théâtralement.
L’intrigue particulièrement
complexe de la Khovanchtchina et la longueur de la partition ne doivent
pas décourager les mélomanes, parce qu’il s’agit d’une œuvre de
premier ordre, que certains spécialistes considèrent comme un chef d’œuvre
encore plus important que Boris Godounov.
A sa mort, Moussorgski laissa
la Khovanchtchina inachevée, très peu de pièces ayant été
orchestrées. Pour le Bolchoï, le choix se posait entre les versions de
Rimski-Korsakov et Chostakovitch.
Beaucoup considèrent la
version de Rimski-Korsakov tronquée et nettement décalée par rapport
aux intentions de Moussorgski. On sent que ce dernier éprouvait une
sympathie certaine pour Dossifei et les vieux-croyants tandis que
Rimski-Korsakov, en progressiste qu’il était, a cherché à rendre
Pierre plus sympathique. Chostakovitch, en soviétique, met en avant le
peuple au-delà des intrigues politiques et religieuses. Finalement, l’œuvre
a tellement fait l’objet d’interprétations politiques qu’il est
impossible aujourd’hui d’en faire abstraction. Musicalement, comme
pour Boris Godounov, l’orchestration de Rimski-Korsakov tant à gommer
les aspérités et dissonances écrites par Moussorgski, tandis que
Chostakovitch, par loyalisme, les souligne, arguant de leur modernité.
Le Bolchoï
a opté pour la « vraie » version de Rimski-Korsakov,
par opposition à la celle, comportant des coupures, qui était jouée à
l’époque soviétique. Le chef Alexander Vedernikov, préfère cette
version à celle de Chostakovitch qui selon lui est trop austère et
empreinte d’une « atmosphère soviétique ». L’orchestre,
contrairement à l’habitude, semble pris d’un enthousiasme et d’une
ardeur équivalente à celle du plateau. Vedernikov a su mobiliser toute l’énergie
des musiciens et atteint une très belle homogénéité, notamment avec le
chœur, très présent dans cette partition.
Le metteur en scène Youri
Alexandrov, venu du Théâtre Marinsky, justifie le choix de la version de
Rimski-Korsakov par sa dimension « plus humaine ». Il souhaite
souligner combien les Russes se trouvent démunis lorsqu’ils doivent
faire face à leurs divisions internes alors qu’ils savent vaincre les
ennemis extérieurs. On sent que le pétersbourgeois Alexandrov, en optant
pour une reconstitution d’époque, a pris soin de ne pas froisser le
public conservateur du Bolchoï. La mise en scène reste classique et sans
extravagance, tout en portant une indéniable efficacité dramatique. Ce
sont les décors et les costumes qui impressionnent le plus par leur
beauté et leur faste.
Le plateau est
exceptionnellement homogène, sans erreur de distribution ni voix
exceptionnelle. A noter toutefois le ténor Mikhaïl Urusov (Andrei) qui
se distingue par une verve impressionnante, une voix éclatante et un jeu
surexcité, à la limite parfois de la fébrilité. Mais ne boudons pas
notre plaisir, car nous n’entendons pas souvent de si bons ténors dans
les parages.
Emmanuel Grynszpan
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