Compositeur : Igor Stravinsky
Livret : Auden & Kallman
Chef d’orchestre : Alexandre Titov
Mise en scène : Dmitri Tcherniakov
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25 février 2003
Après une modeste production au théâtre musical de
chambre Pokrovsky en 1978, The Rake’s Progress se voit ouvrir les portes
du Bolchoï. Si la création russe avait été donnée dans la langue
maternelle de Stravinsky, cette fois-ci la direction du théâtre a,
conformément aux nouvelles directives, opté pour la langue originale de
l’œuvre, l’anglais. C’est là que le bât blesse. Le brillant livret créé
par le poète Auden et son compère Kallman est littéralement réduit en
bouillie. Au point qu’on en vient à regretter l’habitude caduque de
traduire les livrets. La gêne occasionnée par la langue anglaise affecte
la ligne de chant au point de perturber les auditeurs non anglophones.
Seule Yelena Voznessenskaïa (Anne Trulove) surmonte
cet obstacle en déployant une sensibilité et un legato splendides. Vitali
Panfilov (Tom Rakewell), un jeune ténor faisant pour l’occasion ses débuts
sur scène, fait entendre un timbre agréable et clair.
La principale déception vient de Sergueï Moskalkov
(Nick Shadow), lequel manque de charisme. Sa voix, au timbre satisfaisant,
manque de puissance et ne possède pas la noirceur exigée par le rôle.
En revanche, pas d’erreur de distribution pour
Tatiana Gorbunova (Baba the Turk), dont la puissante voix et la forte
personnalité collent parfaitement au personnage. Egalement très bon, le
ténor du Théâtre Stanislavski Vyatcheslav Voïnarovski (Sellem) affiche une
grande aisance dramatique acquise au cours de son exemplaire carrière. Sa
voix de ténor ferme et incisive fait toujours merveille dans les rôles de
composition.
Le Bolchoï a eu l’excellente idée de faire appel au
jeune metteur en scène Dmitri Tcherniakov, qui s’était déjà illustré
l’année dernière dans La légende de la ville invisible de Kitège au
Mariinski. Il a conçut des décors modernes et exceptionnellement bien
articulés entre eux, notamment lorsque après l’initiation perverse de
Rakewell dans un sordide club londonien (un cube rose), Anne apparaît se
morfondant dans une haute et étroite pièce grise.
Brillante également, la scène des trois cartes où un
Rakewell désespéré, affublé de lunettes noires et de longs cheveux, rampe
au milieu de statues à son effigie tandis que Shadow, entouré des autres
personnages de l’opéra, s’apprête à le sacrifier.
La direction de Titov serait excellente si toutefois
l’orchestre n’avait pas un son parfois étriqué. La partition complexe de
Stravinsky paraît impressionner un orchestre qui fait mine de marcher sur
des œufs. L’acoustique toute récente de la Nouvelle Scène du Bolchoï est
sans doute en cause. En revanche, le chœur se distingue en apportant un
dynamisme bienvenu et une grande justesse dans les nuances.
Emmanuel Grynszpan |
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